Je lis présentement un ouvrage passionnant sur la créativité, Big Magic : Creative Living Beyond Fear. L'auteure Elizabeth Gilbert y déconstruit, avec un plaisir à peine voilé, le mythe de l'artiste souffrant et tourmenté. Son idée m'a ramenée à un billet que je n'ai finalement jamais écrit, un manifeste sur la créativité, mais aussi la vie en général.
Je ne trouve pas ça romantique de souffrir. Pas du tout.
J'ai longtemps pensé le contraire. Mon premier manuscrit complet, qui n'a jamais été publié, était dans cette veine : le roman s'ouvrait sur une scène sanglante où une jeune femme s'échappait en forêt pour hurler sa douleur. Oui, c'était aussi mélodramatique que vous pouvez l'imaginer. En fait, non, ce l'était encore plus. À qui me le demandait, je disais avoir écrit une oeuvre "romantique au sens allemand du terme". «Tempêtes et passions» était mon mantra. Je m'abreuvais à Elfiede Jelinek, Samuel Beckett, Thomas Bernhard, Francis Bacon, Joël-Peter Witkin. J'aime encore profondément ces artistes et leur univers tourmenté. Il y a une grandeur, une force évocatrice dans la douleur qu'ils mettent en scène, qui rend leurs oeuvres fortes et puissantes, une confrontation que j'aime.
Mais il y a aussi un discours négativiste qui, à la longue, m'a lassé. Je me rappelle avoir lu un essai de Nancy Huston intitulé Professeurs de désespoir où elle référait à plusieurs de ces auteurs que j'aimais. Je croyais y découvrir encore plus sur cette noirceur intérieure qui pousse à écrire, mais ce que Huston proposait était radicalement différent. Professeurs de désespoir est paradoxalement un long plaidoyer pour l'espoir et la lumière, où elle questionne, justement, le mythe de l'artiste solitaire et tourmenté.
Je n'ai pas aimé cet essai au départ. Il m'a mis face à mes propres contradictions, à ma propre posture. J'allais devenir un écrivain négativiste, dépressif et amer. Je cherchais la douleur comme d'autres cherchent la liberté.
Quelques années plus tard, j'ai compris que je peux écrire sur la douleur sans écrire dans la douleur. J'ai aussi découvert que la posture du martyr n'est pas pour moi. Je suis quelqu'un qui aime profondément être heureux.
Dans Big Magic, Liz Gilbert propose, en opposition au martyr, la figure du «filou» (trickster). Je veux être un filou. Je veux faire mon chemin dans la vie, «filer» en profitant de toutes les opportunités qui sont devant moi. Je veux me donner le droit de faire ce que je veux, et comme je le veux. Je veux être transgressif, subversif, ou, plus simplement, authentique. Prendre la pose de la victime ne m'intéresse plus.
À vrai dire, plus je vieillis et plus je trouve que la souffrance (celle qu'on se fabrique, celle qu'on prend en photo) a quelque chose d'épouvantablement ennuyant. Quoi d'autre que la souffrance, quoi d'autre que le fait que la vie est sans espoir? Qu'est-ce que j'en tire comme lecteur, comme spectateur, de cette souffrance infinie de l'artiste? Je ne peux pas m'y reconnaître parce que c'est une émotion jouée, fausse. C'est une posture d'artiste, ce n'est pas la souffrance.
Des artistes tourmentés, il en pleut. Et je crois qu'il est temps de laisser l'eau couler sous les ponts.
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