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faire fondre la glace.


Très jeune, on nous enseigne que, pour survivre, nous avons besoin d'une carapace.

Tout enfant qui a déjà vécu de l'intimidation s'est déjà fait dire qu'il devait s'endurcir, solidifier ses barrières et ne pas laisser les mots le blesser. Ce n'est pas un mauvais conseil, à la base : faire face aux épreuves avec courage est une nécessité dans notre vie. Mais il y a au moins deux choses qui choquent dans ce conseil : un, que l'on considère que l'enfant blessé est responsable de cette blessure; deux, que l'on associe le courage au fait de ne pas vivre ses émotions. Être courageux ne veut pas dire être insensible; avoir du courage ne veut pas dire ne pas réagir.

Il faudra un jour qu'on comprenne qu'ignorer ce qui nous fait le plus mal n'est pas une solution efficace. Et qu'enseigner cela n'aide personne.

Je me suis forgé une armure à l'adolescence, armure qui m'a permis, je crois, de résister à mon propre effondrement. Au cœur de mes questionnements sur mon identité et de mes doutes quant à ma propre valeur, j'ai senti le besoin de créer une barrière qui me séparerait du monde. Mon mantra était le suivant : je suis un bloc de glace, rien ne peut m'atteindre. Pour réagir à ce qui me faisait mal, tout ce qui me faisait mal, j'affichais de l'indifférence. Le problème, c'est que cette indifférence était un masque, et qu'en faisant semblant de rien, je ne faisais que retourner contre moi la colère, la frustration ou la blessure que je ressentais. 

Je crois sincèrement que cette carapace m'a servi. Faire abstraction de ma sensibilité, à une période où elle était constamment titillée, était nécessaire si je désirais rester debout. J'ai réussi à trouver protection dans mon imaginaire et me suis forgé un univers auquel je fais appel encore aujourd'hui dans mon travail créatif. 

Mais un jour, le bouclier est tombé. Il y a quelques mois, un événement dans ma vie a réveillé une émotion vive et incontrôlable qui m'a ramené au visage tout ce que j'avais tenté d'étouffer. Soudain, devenu adulte, je me trouvais aux prises avec tous les doutes, toutes les blessures et toutes les insécurités de mon adolescence. Tout d'un coup le sentiment de ne pas être à la bonne place, de ne pas mériter ma vie, a pris le dessus : après quelques tentatives, j'ai compris que, cette fois, je devais faire face à ces émotions.

Ce moment est probablement est des plus confrontants que j'ai vécus dans ma vie. Réaliser tout à coup que l'armure ne tient plus, que je ne peux plus feindre, a causé un bouleversement important, dont j'ai longtemps cru que je ne me sortirais pas. Toutes mes convictions, mes croyances, mes attentes par rapport à ma vie ont dû changer. Comme je me plais souvent à dire, le "bloc de glace" a commencé à fondre. J'ai constaté que si cette image du "bloc" m'a permis de rester debout, elle m'a aussi empêché de faire beaucoup de choses. En effet, je me suis longtemps interdit de vivre mes émotions par peur d'être englouti par elles. Je me suis interdit de m'abandonner à mes passions, de me donner, par peur d'être déçu ou brisé. Je me suis interdit de vivre pendant tellement longtemps que je dois aujourd'hui réapprendre à aimer la vie. 

Voici ce que je tiens à dire: j'ai longtemps eu peur qu'on révèle un jour l'être fragile et blessé que j'essayais de cacher. Accepter cette sensibilité qui me caractérise a sans doute été une des plus grandes épreuves de ma vie. Une épreuve qui, comme toute épreuve, m'a demandé de la force, et du courage. Le courage, ce n'est pas nécessairement de s'endurcir, pas nécessairement de se montrer fort. Le courage, c'est d'être fort. C'est de vivre, et de survivre.

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